"La culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité"

Partant de cette notion fondamentale exprimée par Gao Xingjian, ce blog a pour but de partager les connaissances dans tous les domaines de l'histoire de l'art occidental.

Des périodes antiques à la période contemporaine, le lecteur est invité au voyage par des articles à vocation scientifique, mais accessibles à tous.

S'interroger, historiciser, expliquer en gardant un esprit critique et humaniser l'histoire au travers des productions et oeuvres sont les critères essentiels de cette page. De nouvelles perspectives naissent ainsi du croisement des regards, des conceptions, de la connaissance des artisanats et des arts.

Rédigé par une docteur spécialisée en iconographie, ATER à l'Université de Poitiers, ce blog a également la volonté d'intégrer de jeunes chercheurs passionnés, désireux de partager leurs connaissances et leurs savoirs par la publication d'articles.



" The culture is not a luxury, it is a necessity " This notion expressed by Gao Xingjian, is the foundation for the blog, who aims at sharing the knowledge in all the domains of the art history. From Antique periods to the contemporary period, the reader is invited in the journey by articles with scientific vocation, but accessible to everyone. Wondering, historicizing, explaining by a critical spirit and humanizing the history through the productions and works are the essential criteria of this page. New perspectives arise from the crossing of the glances, conceptions, knowledges. Drafted by a PhD Doctor specialized in iconography, this blog also has the will to join young researchers, avid to share their knowledges by the publication of articles. English summaries will be proposed (see article : the blog evolves - le Blog évolue)


mardi 22 mai 2012

Article radar : Michel Pastoureau: "On vit mieux sous Saint Louis que sous Louis XIV", L'Express.fr

Ce blog se veut être, en plus d'un lieu de publication d'articles de jeunes chercheurs, un blog-radar vers d'autres pages d'intérêt.
Voici ainsi l'article publié le 21 mai 2012 par Marc Riglet (Lire), dans l'Express.fr
L'auteur s'y entretient avec Michel Pastoureau, historien médiéviste français, chartiste et archiviste, paléographe, spécialiste des questions de la couleur, des animaux et des symboles.

Michel Pastoureau ; Copyright L'Express.fr

L'express.fr : 
"Michel Pastoureau tire sa juste gloire de travaux que l'on pourrait juger insolites. N'est-il pas l'historien des couleurs, des tissus, des animaux, et n'a-t-il pas contribué à nous faire voir ours et cochons d'un autre oeil ou, en tout cas, ailleurs que dans leurs seules montagnes ou dans leur seule auge ? Cet intérêt pour ces sujets peu communs, Michel Pastoureau le tire de sa formation de chartiste et de ses premières amours de thésard. Avec son sujet - Le Bestiaire héraldique au Moyen Age -,toute l'oeuvre à venir semble concentrée : les animaux, les couleurs - car que serait un blason sans couleur ? -, le Moyen Age, enfin. Comme l'époque est propice, que l'école des Annales, avec son lourd attirail de longue durée et de séries statistiques, exerce moins son empire, les temps sont venus de l'histoire des "mentalités" ou, comme l'on préfère dire aujourd'hui, de l'histoire des "représentations". "Nouvelle histoire", donc, nouveaux sujets. Nouvelle sociabilité aussi entre historiens qui ne regardent plus de haut ces chartistes "collés aux textes". Et c'est sous les patronages bienveillants de Georges Duby et de Jacques Le Goff que Michel Pastoureau commencera sa brillante carrière de médiéviste. Elle n'est pas finie. 

Vos intérêts pour l'histoire des couleurs, l'histoire des animaux, celle des images de toute espèce - blasons, emblèmes, bannières... - vous conduisent à excursionner à travers tous les âges. Diriez-vous, toutefois, que vous êtes avant tout un historien du Moyen Age ?
Michel Pastoureau. Oh, oui ! je suis médiéviste, je revendique l'étiquette d'historien du Moyen Age. Même si je déborde souvent en amont et en aval, même si j'ai une passion secrète pour l'histoire romaine, même si mon intérêt pour l'histoire et la sociologie des couleurs m'entraîne jusque dans notre monde contemporain. J'aime à franchir les frontières du temps et des disciplines, mais je reste un médiéviste. Par exemple, les documents que j'étudie de première main sont le plus souvent des documents du Moyen Age. Voyez-vous, tous les jours, le chartiste que je suis et que je reste traduit du latin.  

Le médiéviste de tout le Moyen Age, donc, mais un Moyen Age qu'il faut découper !
M.P. Bien sûr, il faut distinguer "des" Moyen Age. Le Moyen Age pris dans son ensemble dure mille ans. C'est trop long pour faire une seule culture, une seule civilisation. Aussi bien, traditionnellement, on distingue au moins trois périodes. Un premier Moyen Age qui va de l'Antiquité tardive jusqu'aux environs de l'an mille, c'est le haut Moyen Age. Puis un Moyen Age central dont je suis plus particulièrement spécialiste, les XIe, XIIe, XIIIe siècles, et puis, enfin, un bas Moyen Age, un Moyen Age finissant, les XIVe et XVe siècles. La coupure, pour cette dernière période, se situe, à mon avis, aux alentours de 1320-1350. Beaucoup de choses changent à ce moment et, notamment, le climat, avec des conséquences très importantes sur la démographie, l'économie, etc.

Dans ces conditions, il serait abusif, par exemple, de parler de "l'homme du Moyen Age".
M.P. Oui, bien sûr. L'homme, ou la femme, à l'époque de Charlemagne, à l'époque de Saint Louis, et à celle de Jeanne d'Arc, évidemment ce ne sont pas les mêmes hommes et les mêmes femmes. En fait, lorsque l'on parle spontanément de "l'homme du Moyen Age", on se réfère plus ou moins consciemment au Moyen Age central qui est une sorte d'archétype du Moyen Age en général. C'est le Moyen Age des châteaux forts, des croisades, des tournois, de l'héraldique, de la chevalerie, de la vassalité...  

Sur ce Moyen Age-là, comme sur les autres périodes, les représentations ont longtemps été négatives. "Moyenâgeux" n'est pas un compliment. Ou en est-on de la légende noire du Moyen Age ?
M.P. Les historiens s'en sont depuis longtemps débarrassés. Mais, moi, ce qui me met le plus en colère, ce sont les expressions de la vie courante, du genre, "on se croirait revenu au Moyen Age", chaque fois que survient quelque chose de barbare, de catastrophique... Or, en historien, je sais que, en Europe en tout cas, la période où les hommes et les femmes ont été le plus malheureux, ce n'est pas du tout le Moyen Age, c'est le XVIIe siècle ! S'il y a un siècle noir, c'est bien le "Grand Siècle" ! C'est celui des calamités climatiques, des famines, de cette terrible guerre de Trente Ans, si affreusement dévastatrice. Songez que c'est le siècle où la taille des êtres humains, et celle aussi des animaux, diminue ! C'est celui où l'espérance de vie tombe au plus bas. On vit mieux et plus longtemps sous Saint Louis que sous Louis XIV ! Bref, un siècle abominable ! Et, en regard, voyez ce Moyen Age central, avec son expansion économique, son essor démographique, son climat stable, ses pluies qui tombent au bon moment, ce commerce qui prospère, ce servage qui lentement disparaît, bref, des siècles de progrès. Il ferait presque bon vivre en ce Moyen Age-là ! 

Autrement dit, le Moyen Age aurait eu ses "Renaissances" ?
M.P. Oui. On parle d'ailleurs souvent de "Renaissance du XIIe siècle", avec le surgissement de la notion d'individu, mais aussi de "Renaissance carolingienne". Cela étant, ces perceptions sont aussi tributaires du niveau de nos connaissances historiques. Pour le haut Moyen Age, par exemple, les Anglais parlent de dark ages, de siècles sombres. Mais ils sont sombres moins en raison des malheurs du temps qu'en raison de nos connaissances lacunaires. C'est notre savoir qui est dans l'obscurité ! Le Xe siècle, par exemple, est un siècle très méconnu par rapport au précédent et surtout par rapport au suivant. Donc il faut relativiser. Ce qui n'est pas facile car les idées reçues ont la vie dure. L'image d'un sombre Moyen Age, forgée au XIXe siècle par les romantiques, est tenace, et les médias, comme le grand public, y semblent solidement attachés.  

N'avez-vous pas le sentiment d'assister ces temps-ci à une "réhabilitation" du Moyen Age, à un regain d'intérêt aussi ? Un engouement, même, pour les travaux historiques, les créations littéraires, cinématographiques, télévisuelles touchant à la période ?
M.P. Oui, ce n'est pas faux. Cela vient de ce que la génération de grands historiens qui m'a précédé - Georges Duby, Jacques Le Goff ... - a su pratiquer une bienfaisante et courageuse vulgarisation, à un moment où ça ne se faisait pas, où ça n'était même pas très bien vu dans les milieux universitaires. Nous sommes quelques-uns à avoir poursuivi dans cet élan, et cela peut corriger auprès du grand public certaines idées fausses sur le Moyen Age. Toutefois, rien n'est jamais acquis. J'ai le sentiment que le goût pour le Moyen Age, les curiosités sur la période sont moins vifs qu'ils ne l'étaient hier. Je le vois, par exemple, en bibliothèque aux livres d'histoire qu'empruntent les enfants. Il y a eu une période où c'était toujours le Moyen Age qui emportait la palme. Les garçons jouaient aux chevaliers ! Maintenant on ne joue plus aux chevaliers. La préhistoire, l'Egypte pharaonique, ou alors le futur, la science-fiction, semblent attirer davantage. J'ai fait, il y a quelques années, mon séminaire à l'Ecole des hautes études sur Ivanhoé de Walter Scott. En début d'année, j'avais demandé à mes étudiants : qui a lu Ivanhoé ? Presque personne n'avait lu Ivanhoé. 

Il y a certaines périodes de notre histoire de France auxquelles nous pouvons nous rattacher quand nous percevons une filiation entre notre passé et notre présent. Ou encore, pour parler comme Jean-Noël Jeanneney, quand joue une "concordance des temps". Si vous deviez choisir quelques traits caractéristiques du Moyen Age qui feraient comme un pont avec notre modernité, quels seraient-ils ?
M.P. Je suis là prisonnier de mes attirances, de mes goûts, de mes compétences, c'est-à-dire de la période que je connais le mieux, je vous l'ai dit, le Moyen Age central : le tournant des XIIe et XIIIe siècles. Etablir une "concordance des temps" avec ce Moyen Age-là ne va pas de soi. Il est à la fois lointain, donc il garde sa part de mystère, de merveilleux et, en même temps, il est relativement proche, puisque nous vivons encore sur des héritages médiévaux dans beaucoup de domaines, le calendrier, par exemple, mais aussi, bien sûr, dans notre champ visuel, nos églises. Donc il y a à la fois une étrangeté et une familiarité. Et puis il y a les valeurs. Nombre d'entre elles, que l'on professe sans nécessairement les honorer - je pense à la noblesse, à la fidélité, au courage, mais aussi à l'idée de tempérance, à la distinction entre vice et vertu -, tout cela nous vient du modèle de la société chevaleresque ou des enseignements de la théologie médiévale. Y sommes-nous encore fidèles aujourd'hui ? Rien n'est moins sûr. Un exemple : le Moyen Age a horreur du mensonge. Ne pas dire la vérité est perçu comme extrêmement grave. Il ne viendrait à l'idée de personne de ne pas dire la vérité ! Or, il ne me semble pas que cet impératif de vérité, qui est d'ailleurs aussi bien une crainte du mensonge, soit un trait de nos temps modernes ! "


2 commentaires:

  1. Chère Chrystel,
    Heureusement que tu es là pour traquer l'info sur les médiévistes!!!.Bel article. Je te rappelle que la Bibliothèque du Petit Palais d'Avignon propose beaucoup d'ouvrages de Michel Pastoureau en consultation libre.
    www.petit-palais.org
    Bravo pour ton blog et bonne continuation!
    Isabelle DUVAL Bibliothécaire

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  2. Merci Isabelle de ton commentaire et de l'indication de la bibliothèque, cela intéressera mes lecteurs.
    A bientôt,
    Chrystel

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